Rêves de Sang
Je suis une rêveuse.
Sur Eve les rêves dégoulinent de sang, ils se construisent dans le fracas de la guerre, dans les lumières aveuglantes d´explosions silencieuses, emportant les illusions des uns, permettant aux autres de se frayer un chemin vers le pouvoir.
Nous avions rêvé de Solitude et nous y étions, luttant pour notre bout de territoire, engageant l’ennemi à la moindre occasion.
Après deux semaines de victoires, dont la destruction d’un carrier ennemi, nous avions subi nos deux premières défaites, perdant une flotte de « BS » dans un engagement à un contre quatre qui tourna au désastre total.
L’ordre de départ est donné.
Une nouvelle flotte.
Un nouveau combat.
Un nouveau rêve.
J’ai du mal à compter les navires, une dizaine de « battleships » et leur flotte de support logistique et « ecm ». Ils virent lentement alignant la « gate » la plus proche.
J’entends les voix des pilotes discuter sur le « chan ». J’en connais certains d’autres appartiennent à la coalition récemment formée. Six corporations unies pour contrôler Solitude, pour se faire une place parmi les demi-dieux.
Perlelune dirige la flotte.
Voix rassurante et connue, et les ordres commencent à tomber, familiers, répétitifs comme une mortelle litanie.
La flotte part en « warp ». Je vérifie la présence de mon coéquipier, qui est aussi mon assurance vie. Je suis en « Guardian » et lui en « Oneiros », notre survie est liée.
Les scouts débitent leurs informations.
Je suis de très loin.
Comme à chaque fois j’ai un poids sur l’estomac.
L’angoisse.
Pas tellement pour mon navire, mais surtout pour les autres. C’est l’âme du pilote de logistique, perdre le moins possible.
C’est le « Kill Board » négatif de la profession où l’on n’affiche pas les victoires sinon les pertes.
Nos succès sont anonymes et silencieux.
Nous arrivons à destination, l’endroit que nous avons choisis pour affronter l’ennemi. Reste à l’attendre.
Cela ne prend pas longtemps, les scouts déployés dans les systèmes voisins annoncent l’activité ennemie et le décompte commence, neutre et mortellement effrayant. Les navires s’accumulent et les premiers scouts ennemis entrent dans le système, évaluant eux aussi la situation.
La flotte de support croise en « safe » alignée, prêtre à agir.
On attend.
La tension monte à chaque nouveau navire.
Depuis une semaine, l’ennemi à aussi reçu des renforts et sans doute scellé de nouvelles alliances. D’autres corporations dont nous ne connaissions pas l’existence font leur apparition dans solitude. De notre coté nous agissons de même. De nouvelles corporations francophones arrivent sur place et commencent à aligner leurs capacités offensives.
Le projet grandit.
Un autre rêve.
« Carrier au scan »
La voix du scout est neutre, calme et il énonce les cibles qui se regroupent derrière la « gate ». Une longue liste de « battleship » aux noms aussi effrayants les uns que les autres. Pour moi ils ne sont même pas des cibles, ils ne sont qu’une partie de l’équation dont dépendra ma survie. Mangeur de « capa », sniper, j’essaye de repérer les dangers potentiels.
« Je suis engagé »
Le scout « jump » et nous perdons une partie de l’information.
Perlelune donne de nouvelles coordonnées et la flotte s’aligne en passif pendant qu’un autre navire se dirige vers le système voisin pour reprendre l’information.
La situation se dégrade.
Toujours plus de navires.
Toujours plus de risques.
« Jump »
Nous attendons, changeant notre alignement vers la flotte de combat, prêtre à « warp »
« Ils m’engagent »
Toujours la voix calme et rassurante, et les objectifs prioritaires qui sont annoncés.
On attend, la flotte est passée cette fois en alignement actif et mon estomac n’est plus qu’une masse compacte.
Notre ordre de « warp » arrive enfin et je pars en tête pour me positionner en configuration optimale.
C’est le moment le plus angoissant, celui oú vous découvrez le champ de bataille, ou vous tombez dans la violence d’un combat. Je repère une première cible en détresse et commence à réparer. Le deuxième logistique est lui aussi en position.
Le ballet vient de commencer.
Les premières secondes sont critiques, c’est là que nous voyons si notre configuration tiendra le feu de l ennemi. Nous sauvons un premier navire et je suis rassurée, je passe à un autre, mes trois large « remote » et « transfer de capa » ronronnant en continu.
Le combat est confus en ce qui me concerne, je ne vois que nos pilotes, je me concentre sur les barres rouges de ma « watchlist » qui dansent devant mes yeux.
L’ennemi a engagé un « carrier », le « tank » est difficile à passer.
Perlelune donne l’ordre de faire « jump » le notre.
Je « remote » le « drake » de Heimotz qui « tank » sur son « armor »,
L’ennemi change de cible.
Je suis « jam », je pers un de nos navires, voyant son armure fondre, impuissante, pleurant de rage.
Je re-lock.
L’ennemi fait sauter un deuxième « carrier » sur notre flotte et je me fais « focus ». Mon « shield » disparaît, mon armure fond. Je n’ai que quelques secondes. Elles sont longues, interminables et finalement je sens les « remote » de l’ »Oneiros » entrer en action et mon armure se stabilise.
Le combat fait rage. L’ennemi essaye de percer notre capacité de « tank » et nous faisons de même. Je sens les « remote » du carrier de « Chien Fou » et l’ « Oneiros » qui continue à me maintenir alors que je subis une deuxième attaque.
Je tiens.
Perlelune fait sauter le « Dread ».
L’escalade.
La guerre.
Les pertes des deux cotés sont négligeables, les deux flottes s’affrontent en duel, jouant sur les positions, essayant encore et encore de dérouter l’ennemi.
Cela s’éternise. Il faut tenir dix minutes de plus.
Je puise dans mes réserves de « capa » et commence à jouer sur mes « cap booster » pour répondre à la demande. Trois large « armor » et deux « transfer energy » tournent en continu depuis ce qui me semble une éternité.
Nous tombons finalement deux « battleships » ennemis parvenant à percer leur tank. Perlelune prépare l’évacuation. Le combat fait rage depuis quinze minutes et nous redoutons une nouvelle arrivée de renfort.
La flotte aligne la station et nous continuons notre travail, laissant les deux « cap ship » évacuer le terrain. On attend confirmation et nous dégageons à notre tour.
Moment d’angoisse, et attente d’éventuels navires qui n’auraient pu warper.
Personne.
La flotte « dock » en station.
Soulagement.
Satisfaction.
Le chan du « gang » se détend et les discussions commencent.
« Debriefing ».
Je regarde l’état de mon navire.
J’ai mangé la moitié de mes « cap booster » et mes drones « remote » se sont fait exploser. Il ne reste qu’un survivant sur le « hull ».
Parmi les pilotes c’est la grande satisfaction. Même si le bilan des « kills » est ridicule par rapport à la flotte engagée, nous avons pu faire face à l’escalade ennemie. Nous avons montré que nous sommes là, décidés à lutter avec tous nos moyens.
Pour la première fois le « chan local » se transforme en autre chose que des provocations de bas niveaux. Remerciements auxquels nous ne répondons que par un laconique « gf ». Dans la défaite ou la victoire nous restons fidèles à notre silence.
La flotte met le cap vers la maison. Cette fois, j’admire l’alignement parfait des dizaines de navires, la beauté de l’acier, froid et menaçant, sous la pâle lumière des soleils de Solitude
Je suis une rêveuse.
Et mon rêve est fait de sang, de destruction et de liberté.